russie 1

Publié le par marie m

(La Russie de Pierre Le Grand à nos jours)

Première partie : La Russie impériale

Chapitre un : La Russie : un « Empire comme les autres ? »

1-Les raisons de la dilatation continue d’un « Empire d’un seul tenant »

a-La « libération » des peuples russes par la Moscovie : C’est à ce triple titre qu’ Ivan 3 (1462-1505) est resté dans l’histoire : « rassembleur de terres »,  «  libérateur » et « tsar de toute la Russie ». Ivan 3 réduit par la force la puissante cité de Novgorod en 1480 et annexe ses vastes territoires s’étendant du golfe de Finlande à l’océan Arctique. En détruisant les cités-républiques, aux institutions libres, Ivan 3 élimine de l’histoire russe le modèle de développement des cités marchandes.

b-L’expansion « organique » d’un Empire euro-asiatique : Ivan 4 et ses successeurs ont créé un véritable empire euro-asiatique continental où espace et population sont inversement répartis. (cf. Annexe 1 : Les étapes de la formation de l’Empire russe)

c-Les conquêtes militaires du « glacis occidental » : Si la conquête vers l’Est est une réussite, l’expansion à l’Ouest est plus difficile car différente par ses buts et ses moyens. Pierre le Grand réalise le rêve d’Ivan le Terrible. Il veut ouvrir la Russie sur la Baltique, sur les mers froides et sur la mer Noire donnant accès aux mers chaudes. 1721 : proclamation de l’Empire. La Russie acquiert la suprématie en Europe du Nord mais Pierre 1e a échoué face aux Turcs. Catherine 2 réalise le rêve de Pierre le Grand en ouvrant la Russie sur la mer Noire. En 1815, l’Empire russe étend s’étend de la Pologne à l’Alaska, de la Californie à la Finlande, de l’Azerbaïdjan à l’Altaï.

d-L’expansion coloniale et impériale en Asie centrale et orientale : La Russie est engagée tout au long du 19e siècle dans de véritables guerres coloniales pour maîtriser le Sud-Est de l’Empire. La Russie n’a donc jamais eu de frontières naturelles. L’expansion territoriale a repoussé sans cesse ses limites, absorbant toujours des espaces contigus, formant un empire-continent, d’un seul bloc, comme l’empire chinois. L’Etat russe s’acharne à maîtriser le Caucase, mais renonce sans peine à ses colonies de Californie et d’Alaska, vendues aux Américains en 1842 et en 1867.

2-La nature de l’Empire russe

a-Une nation russe et orthodoxe : L’unité de foi est le ciment de la nation russe. L’Eglise sert de refuge et l’identité russe est assimilée plus que jamais à l’orthodoxie. L’expansionnisme russe est justifié par une véritable mystique de la « libération » de tous les peuples orthodoxes sous le joug des Turcs. Nicolas 1e fait toujours au 19e siècle de l’orthodoxie le fondement spirituel de la construction impériale.

b-Expansion commerciale et/ou conquêtes militaires : La première force de l’Empire russe est son armée et la logique militaire prévaut vite sur la logique économique. Mais l’expansion est souvent motivée par des mobiles commerciaux. L’immense Empire russe se doit d’être une puissance militaire. Ce nouveau modèle de maîtrise de l’espace s’appuie sur un complexe militaro-industriel d’Etat voué à un avenir durable.

 

c-Empire colonial et impérialisme russe : La conquête permet la mise en valeur économique. La Sibérie est mise sous administration militaire pour devenir une colonie d’exploitation. Seule la construction des chemins de fer permet la mise en valeur de l’Asie Centrale et de la Province maritime. Raccourcissant le temps et l’espace, le chemin de fer révolutionne les relations entre le centre et la périphérie. L’unité de l’Empire est renforcée, l’armée omniprésente, l’autorité du tsar plus proche des administrateurs.

3-Le modèle russe d’intégration et ses limites

a-La fécondité du modèle russe d’intégration impériale : Quand il prend Kazan en 1552, Ivan 4 intègre sans violence dans l’Etat russe les Tatars et d’autres peuples libérés. Il respecte les coutumes religieuses et culturelles, se contentant de faire lever un tribut. Refusant tout prosélytisme, il attire les élites indigènes et  les prend parmi ses serviteurs. Un modèle d’intégration des élites locales est défini. L’autocratie semble imposer à tous, Russes et non-Russes, les mêmes droits et devoirs, la même soumission et fidélité au tsar.

b-Empire multinational et résistances à la centralisation : La nature de l’Empire change insensiblement à la fin du 18e siècle. De plus en plus vaste, il est de plus en plus multinational. L’intégration des non-Russes ne résiste pas au développement du servage et à la spoliation de terres provoquant de multiples révoltes. L’autocratie peut-elle, dans sa volonté centralisatrice, continuer à garantir l’unité d’un Empire multinational ?

c-Russification et limites de l’intégration : L’autocratie remet en cause au 19e siècle l’ancien modèle d’intégration, se croyant assez forte pour imposer désormais la russification. Face aux droits des peuples proclamés par la Révolution française, l’Empire russe oppose le principe traditionnel de l’union personnelle des peuples et du souverain. L’Empire russe atteint vers 1905 ses limites historiques plus que ses frontières naturelles alors que son modèle d’intégration fonctionne plus mal que jamais. La Russie a été longtemps un Etat à croissance  «  organique », « rassembleur de peuples », pratiquant une lente intégration des élites et un brassage ethnique, respectant traditions et coutumes. La conquête a absorbé pendant des siècles toute l’énergie de l’Etat et explique la place capitale de l’armée dans la société. Mais l’extension du territoire a dépassé les moyens existants pour assurer son gouvernement et sa défense.

Chapitre deux : L’autocratie : un despotisme sans lumière

« Sur quels fondements repose l’autocratie ? Sur quelles bases  sociales et politiques s’appuie-t-elle ? Peut-elle s’adapter à la modernité ? Est-elle réformable ? »

1-Aux origines de l’autocratie

a-L’héritage de Byzance : L’Eglise orthodoxe a largement contribué à l’affirmation de la nature divine du pouvoir des princes de Moscou. Sur le modèle byzantin, le tsar est conçu comme un personnage sacré à fonction liturgique ne concevant pas son pouvoir en-dehors de sa mission religieuse. « En Moscovie, la religion servait à la fois de fondement culturel et de principe d’autodéfinition de la nation. Le tsar et ses sujets se définissent par leur appartenance à l’Eglise orthodoxe russe.

b-L’héritage mongol : Quand il rassemble toutes les principautés russes, Ivan 3 se présente comme l’héritier du pouvoir mongol, comme le conquérant de ses propres sujets. Les terres de la principauté de Moscou ne sont que le prolongement direct du domaine du prince. La notion de propriété privée est inconnue. Le système moscovite rend impossible l’émergence de centres de pouvoirs autonomes.

c-Une « monarchie patrimoniale » : La Moscovie et l’Empire ottoman sont deux semblables « monarchies seigneuriales » où « le prince est maître des biens et des corps de ses sujets ». Les tsars de Moscou se considèrent comme les propriétaires personnels de leur royaume car la notion d’ Etat distincte de la personne du prince n’existe pas.

2-Changements dans la continuité : le « despotisme éclairé »

a-Pierre 1: père de la patrie et père de l’Etat moderne : L’autocratie* se laïcise temporairement. L’origine divine du pouvoir confère encore au tsar un rôle d’intercesseur entre les hommes et le divin, mais les anciennes formules théocratiques* sont gommées. C’est la fin de l’indépendance de l’Eglise, le début de son instrumentalisation, la préface à la sécularisation* en 1762 des biens des monastères. L’Eglise est trop riche et l’Etat est trop pauvre. L’Empire se caractérise alors par une centralisation formelle par en haut et une décentralisation réelle par en bas en raison des difficultés extrêmes à gouverner un Etat aussi vaste. En tentant de concilier particularismes hérités et uniformisation centralisée, le tsar compte sur le soutien de sa noblesse à la modernisation de l’Etat. La nouvelle conception de l’Etat vise au développement de la puissance de l’Empire,  à la modernisation de la société et au progrès de la civilisation.

b-La société au service de l’Etat : Les réformes de Pierre le Grand restent ambigües. Il généralise le service de l’Etat, mais systémise le principe patrimonial. Le service de l’Etat ne transforme pas le système autocratique et contribue même à entraver la formation d’une société civile autonome et à creuser un fossé entre les élites et le peuple. La seule voie de promotion devient le service de l’Etat, seul privilège social, seule garantie de sécurité matérielle et de protection juridique.

c-Catherine 2 et le « despotisme éclairé » : Elle ouvre la Russie à l’Europe en facilitant la diffusion des idées des philosophes, en levant la censure, en promouvant une grande liberté individuelle, en séparant la justice de l’administration. En 1785, la Charte de la noblesse accorde aux nobles la pleine propriété des domaines que l’Etat leur avait remis.Elle fait des nobles des propriétaires de plein droit, pouvant transmettre, hypothéquer et vendre leurs domaines, les terres comme les serfs. Elle confirme leur exemption d’impôts et de service. Les Chartes de 1785 permettent aussi aux élus des ordres et aux corporations urbaines de participer à l’application de la politique impériale au niveau local et de définir leurs pairs. Pierre 1e et Catherine 2 n’ont jamais remis en cause les fondements de l’autocratie, en dépit de leur objectif de modernisation de l’Etat. Toute tentative d’évolution constitutionnelle de la Russie a été rejetée au 18e siècle.

3-L’autocratie maintenue au 19e siècle : « un tsar, un peuple, une foi »

a-Un tsar : La mystique contre-révolutionnaire balaie les innovations des Lumières. Le tsar est l’élu de Dieu seul est la charge est héréditaire. Représentant de Dieu sur terre et responsable devant lui seul, il prononce lors de son sacre un double serment. Autocrate, le tsar est la source unique du droit, de la loi, de la justice et le dispensateur unique de toutes les charges et distinctions. L’autocratie repose sur une « dictature bureaucratique » et sur la domination nobiliaire.

b-Un tsar, un peuple : La doctrine officielle diffusée de 18 » » à 1849 affirme que le tsarisme est une « monarchie populaire », voire une « monarchie sociale » et que tous les sujets sont égaux devant l’empereur et ne forment qu’un seul peuple. Cette égalité serait sociale et nationale.

c-Un tsar, un peuple, une foi : Avec Alexandre 1e, toutes les velléités laïques ont été abandonnées, l’Eglise a retrouvé sa position, sinon sa puissance. En conséquence, aucune liberté de conscience n’est reconnue en Russie. La Russie connaît un totalitarisme politico-religieux officiel. L’Etat s’appuie sur une Eglise réduite à être la gardienne de l’ordre et des traditions.

Chapitre trois : Le peuple russe : l’éternelle question paysanne

1-Aux origines de la question paysanne : le servage

a-Les origines : Le servage est une institution relativement récente en Russie, fort peu comparable au servage féodal d’Occident. Les paysans paient une redevance sous forme de corvées aux princes et aux nobles, en contrepartie de terres concédées et d’une protection armée. L’imposition aux nobles du service militaire et civil par les tsars  implique une rapide extension du servage qui devient la base de la société russe. Dès la prise de Novgorod en 1480, Ivan 3 inaugure un système de donations à ses fidèles de domaines et de paysans, système qui se généralise dans une Moscovie sans cesse étendue où la seule propriété inconditionnelle des terres devient celle du souverain. Pour préserver la noblesse de service, Ivan 4 et ses successeurs tentent de limiter la mobilité des paysans en les attachant à la terre. Les paysans étaient jusqu’alors libres de changer de seigneur. Le code des lois de 1649 renforce la fixation au sol et la dépendance juridique et économique à l’égard des nobles disposant de droits de police et de justice. Sont désormais déclarés serfs tous ceux qui cultivent un domaine privé. De nombreux esclaves travaillant dans les maisons des maîtres, la distinction entre serfs et esclaves tend à s’effacer. Subsistent les paysans d’Etat, n’ayant pas d’obligation à l’égard d’un propriétaire foncier, travaillant des terres communautaires, soumis à des corvées d’Etat et à l’impôt.

b-La généralisation du servage : Le servage devient contradictoire avec la liberté accordée à la noblesse. Dès 1762, la noblesse n’est plus obligatoirement astreinte au service de l’Etat. La Charte de  1785 reconnaît aux nobles le bénéfice du droit seigneurial (droit de police, de justice et d’exploitation des serfs) mais aussi la pleine propriété foncière sur la totalité des terres et des hommes concédés par les tsars. L’émancipation de la noblesse aurait dû être logiquement suivie de celle des serfs puisqu’ils n’étaient asservis aux seigneurs que dans la mesure où ceux-ci servaient l’Etat. Le servage de service est devenu un servage-marchandise et la transformation de la noblesse en classe de propriétaires fonciers aggrave sa domination sur les serfs qui peuvent être vendus. Le servage russe, dernier vestige avec l’esclavage des Noirs américains d’un asservissement légal, culmine en 1811 et concerne alors 58% de la population.

c-La crise du servage au milieu du 19e siècle : La question du servage est posée depuis 1818, sinon depuis 1785. Le servage est d’abord énoncé comme une privation de liberté personnelle. Le serf dépend totalement de son maître, est jugé par lui, déporté ou envoyé à l’armée sans pouvoir faire appel au tsar. On joue, on place, on vend des « services de serfs » comme du bétail et de la terre ! Le servage est dénoncé comme une dépendance économique. Il apparaît de plus en plus comme un frein économique. Il est enfin condamné comme un danger social.

2- L’abolition du servage et la réforme agraire de 1861

a-L’émancipation : Abolir le servage signifie mettre fin à la dépendance personnelle, à l’incapacité juridique du serf soumis à l’autorité seigneuriale. Ils passent sous la dépendance de la communauté villageoise. Mais, en instaurant le self-government paysan, l’Etat alourdit la tutelle communautaire pesant sur les paysans et renforce sa propre autorité.

b-La réforme agraire : Abolir le servage, c’est abolir une dépendance économique. La statut libère les paysans avec la terre, mais son objectif réel est d’accorder aux paysans libres le minimum de terres afin de mécontenter le moins possible les anciens propriétaires. Les paysans doivent racheter leurs terres, mais ils n’en sont qu’usufruitiers car elles sont la propriété collective de la communauté villageoise. Ils doivent toujours des corvées à l’ancien propriétaire foncier. De plus, ils sont endettés collectivement.

c-Le rachat : L’abolition du servage ne met pas fin à l’assujettissement financier des anciens serfs qui changent seulement de créancier.

d-De la dépendance seigneuriale à la dépendance étatique : La commune est intégrée dans l’administration locale. Le statut crée une nouvelle circonscription territoriale, le canton rural. Ce dernier n’a qu’une fonction de surveillance et de relais du pouvoir de l’Etat. Les paysans sont donc tombés sous une double tutelle, celle de leur propre communauté et celle de l’Etat qui renforce sa présence et les droits de ses agents dans les campagnes.

3-La persistance des difficultés paysannes

a-La faim de terre de la paysannerie parcellaire : Les anciens serfs disposent de moins de terres qu’avant 1861 et doivent travailler comme salariés ou comme fermiers pour les propriétaires fonciers. Chaque paysan n’a que l’usufruit  de son lot qu’il ne peut vendre ou hypothéquer.

b-Différenciation sociale et  pénétration des rapports capitalistes : L’unité sociale des communes villageoises se désagrège. La redistribution porte sur la terre, pas sur le capital d’exploitation. Néanmoins, l’Etat  défend le système communautaire contre les dangers de l’appropriation privée des terres et de l’individualisme agraire.

c-Un système agraire bloqué : La condition paysanne a peu évolué depuis l’abolition du servage sinon au plan juridique. Les paysans aspirent plus à la terre qu’à la liberté. La vieille Russie reste bloquée dans son archaïsme. Le révélateur de cette crise est la famine de 1892, suivie d’une épidémie de choléra.

Chapitre quatre : L’industrialisation de la Russie ou les rêves de « rattrapage » de l’Occident

(cf. Annexe 2 : La modernisation de la Russie)

1-Mercantilisme sans doctrine et volonté de puissance

a-Modernisation et/ou besoins militaires : Les nécessités de la guerre du Nord contre la Suède (1700-1721) ont conduit Pierre 1e à un effort militaire démesuré et à la mobilisation de toute l’économie. Mais ce qui compte à ses yeux n’est pas tant le développement que la puissance de l’Etat. D’où la priorité absolue donnée à la création d’une armée et d’une marine modernes, gages de la puissance stratégique future de l’Empire russe. Indifférent au coût humain, Pierre 1e généralise le travail forcé selon sa conception de l’  « Etat de service », ou de l’ « Etat de servage ».

b- Pression fiscale et volonté de puissance : Pour financer un tel effort militaire et industriel, Pierre 1e alourdit considérablement la pression fiscale. Le mercantilisme caractérise bien la Russie comme tout Etat européen engagé alors dans des entreprises militaires à la recherche de l’expansion et de la puissance. L’économie naissante russe est mise au service de l’armée et sa structure en est marquée à jamais par la priorité absolue à l’industrie lourde.

2-L’impossible essor d’un capitalisme libéral russe

a-Libéralisme et essor manufacturier au 18e siècle : Des mesures essentielles sont prises : unification des poids et mesures, construction de routes, de ponts et du canal entre la Néva et la Volga, assurant la connexion entre la Baltique, la Moscovie, la Caspienne et l’Oural, préface à l’interconnexion des « Cinq mers ».

b-Manufacture d’Etat et travail forcé : Les solutions industrielles adoptées par Pierre 1e marquent pour longtemps les rapports entre l’Etat et l’économie. L’Etat joue un rôle actif en créant des manufactures d’Etat, en gestion directe ou affermées et en aidant des manufactures privées. Pour disposer de main d’oeuvre qualifiée, Pierre 1e recrute plus de 750 spécialistes, techniciens etc… lors de sa « Grande Ambassade », son voyage en Occident en 1698. Dès 1731, le tarif protectionniste est abrogé, les douanes intérieures sont abolies.Catherine 2  renonce au mercantilisme et affiche les nouveaux idéaux de libre commerce et de libre entreprise. Mais les entreprises dépendent  du système de servage industriel qui freine la croissance. Le libéralisme est un leurre. La Russie retourne au protectionnisme dès la fin du 18e siècle.

c-L’impossible « révolution industrielle » : Entre 1830 et 1860, la Russie participe à l’2lan de l’économie mondiale mais rate son « décollage industriel ». Seul le secteur cotonnier est en effet capable de se mécaniser et de se concentrer. Les « manufactures d’Etat subsistent dans les mines et la métallurgie lourde. L’industrie russe est encore vers 1860 « en retard » même si des changements qualitatifs se sont dessinés avec l’apparition d’une main d’œuvre salariée et de quelques entrepreneurs privés. Les conditions préalables de la révolution industrielle ne sont pas encore réunies en Russie. La production reste dominée par le servage et l’emprise de l’Etat. L’abolition du servage en 1861 et l’équipement ferroviaire doivent être les préalables à l’industrialisation.

d-L’échec de la voie libérale du développement industriel : L’Etat est trop endetté pour assumer l’effort d’équipement national. Il recourt à des compagnies privées, russes et étrangères, pour équiper son réseau ferroviaire. La banque d’Etat est fondée en 1860 pour assurer la création d’un véritable réseau bancaire russe. Les retentissantes faillites des compagnies et des banques provoquent une grave crise économique qui culmine en 1881. L’effondrement des prix agricoles à l’exportation depuis 1873 rend de plus en plus dépendant l’Etat russe des importations de capitaux étrangers. La Russie est tombée dans le piège de la dépendance extérieure.

3-Une « voie russe « vers le capitalisme ?

a-Un plan de « rattrapage » : Il faut attendre les années 1880-1900 pour que l’on assiste à un véritable décollage industriel en Russie. Seule une industrie moderne peut transformer la Russie retardée et lui donner la puissance militaire exigée par l’Empire. L’Etat doit jouer un rôle décisif pour combler le « retard » du pays et pour amener l’économie au seuil où l’initiative privée pourra prendre le relais de l’impulsion étatique. La sécurité de l’Etat semble assurée par le régime autocratique et l’alliance franco-russe.

b-Le financement de la « politique nationale » : Cette politique repose sur une pression fiscale accrue. Par un protectionnisme renforcé et sélectif, l’industrie russe est stimulée. L’Etat cherche à provoquer l’initiative privée pour rééquilibrer la structure industrielle du pays.

c-Le « grand renfort des capitaux étrangers » : La structure de ces emprunts étrangers ne fait que renforcer le rôle de l’Etat au détriment des entreprises privées. L’épargne française est orientée vers le soutien à un régime en bonne santé financière mais à grande fragilité politique et sociale. Le capitalisme en Russie devient multinational plutôt que russe.

d-Un dualisme industriel accentué : L’industrie russe ne se caractérise pas seulement par un dualisme sectoriel, ou entre grandes et petites entreprises, mais aussi par un dualisme de technologie et de qualification dans les grandes entreprises. Au plan financier, se retrouve un semblable dualisme. La Russie impériale a été marquée par les stigmates d’une industrialisation impulsée par l’Etat, forcée, déséquilibrée et finalement dépendante. Paradoxe, au début du 20e siècle, le plus grand Empire terrestre, devenu la 5e puissance industrielle mondiale, est tombée sous la domination des impérialismes étrangers.

Chapitre cinq : L’intelligentsia : entre réformes et révolutions

En Russie, coexistent jusqu’au début du 20e siècle une très petite élite cultivée et un immense peuple analphabète. Ce « retard » culturel n’est-il pas un produit de l’histoire de l’Etat ?

(cf. Annexe 3 : Vie intellectuelle et politique en Russie)

1-La difficile formation d’une élite cultivée

a-Lumières et système éducatif moderne : Pierre 1e, conseillé par les Occidentaux, donne la priorité à la formation militaire et professionnelle. Il réforme le calendrier, simplifie l’alphabet et le calcul, permet la diffusion des gazettes et la traduction d’ouvrages étrangers. Sous Elizabeth 1e, les mœurs se polissent sur le modèle des cours européennes. La langue française devient la langue de la culture et de l’aristocratie. Un système éducatif complet tend à se mettre en place sous Catherine 2 et Alexandre 1e. La création d’imprimeries privées à partir de 1784 donne un coup de fouet à l’édition. Se multiplient les salons littéraires, les loges de francs-maçons, mais aussi les cercles occultistes. La lutte contre l’analphabétisme semble à l’ordre du jour. Langue parlée et langue écrite se rejoignent : la pensée dès lors se diffuse. La langue russe est devenue une langue reconnue, adoptée par les écrivains et les savants.

b-Obscurantisme et caste bureaucratique et militaire : Les lumières du 18e siècle sont occultées par l’obscurantisme dominant après 1815. Les loges maçonniques sont interdites, le personnel enseignant épuré, les jésuites chassés, les échanges culturels interdits. Nicolas 1e prend des mesures très négatives : suppression des langues étrangères incitatrices de « mauvaises lectures », limitation puis interdiction de l’enseignement de la philosophie etc… Les écoles militaires et professionnelles sont les seules à trouver grâce aux yeux du tsar. La censure devient de plus en plus répressive après 1848. L’Etat russe préfère former des fonctionnaires qu’instruire les élites et le peuple. Ainsi se perpétue la noblesse de service, la nécessité tenant lieu de vocation, l’obéissance aveugle suppléant l’incompétence.

c-Elite cultivée et Etat réactionnaire : Par la carence de l’autocratie, la Russie aborde le 20e siècle avec le niveau culturel de la France de Louis 14.

2-L’intelligentsia entre occidentalistes et slavophiles :

a-Public cultivé et intelligentsia : Tout au long du 19e siècle, un nombre croissant de gens instruits, capables de lire et de réfléchir, forme un public, composé de bureaucrates, de militaires, de nobles et de bourgeois. Ce public n’est pas assimilable à l’intelligentsia. Cette dernière entend régénérer la Russie et libérer le peuple. Elle se retranche dans des cénacles littéraires et artistiques pour échapper à la censure. Elle se groupe dans des cercles romantiques, positivistes*,  populistes*, socialistes, marxistes.

b-Les occidentalistes : Dès le réveil de l’opinion publique dans les salons des années 1830-1840, l’intelligentsia se partage en deux courants qui renaîtront sans cesse. Les occidentalistes sont des partisans de la  «  voie de développement de l’Europe occidentale » et veulent moderniser la Russie en s’inspirant de la France, de l’Allemagne ou de l’Angleterre et en adoptant leurs valeurs : respect de la personne, des libertés individuelles, de la raison et de la liberté. Les disciples de Hegel forment un courant plus radical, glissant à l’athéisme, au matérialisme* et au socialisme utopique. L’activité politique de l’opposition ne peut encore s’exprimer au grand jour, mais elle prend des formes déguisées, littéraires ou philosophiques. Mais la censure est renforcée après 1848.

c-Les slavophiles : Les slavophiles s’opposent eux aussi au régime car ils veulent mettre fin au servage révoltant et émanciper le peuple. Mais ils refusent tout modèle étranger, persuadés de la décomposition de l’Occident, victime de l’industrialisation bourgeoise, du matérialisme déchristianisé, de la lutte des classes et des crises révolutionnaires. Les slavophiles se réfèrent à la « voie russe du développement historique », fondée sur trois valeurs traditionnelles : la spiritualité orthodoxe, la communauté paysanne libre fondée sur l’idéal de partage et d’entraide ; l’  « harmonie naturelle » qui doit unir le peuple et son souverain. Les slavophiles ont souvent été accusées de vouloir revenir à un passé mythique.

3-« Aller au peuple » : la mission spécifique du populisme russe

A la génération idéaliste et romantique succède celle des « nihilistes* ».

a-La 1e théorie de la révolution russe : Tchernychevski met la révolution à l’ordre du jour. Sa stratégie repose sur trois postulats : la révolution n’est possible qu’avec la participation de la paysannerie, de la grande masse du peuple ; elle doit être sociale et pas seulement juridique, les paysans devant organiser de véritables communes rurales autonomes, centres de production agricole et artisanale, pour éviter le capitalisme à la campagne ; la révolution doit être dirigée par des révolutionnaires totalement dévoués à la cause du peuple : un « homme nouveau » doit naître et « aller au peuple » pour libérer les paysans et réformer la société. L’union entre réforme agraire et autonomie paysanne et l’alliance entre l’intelligentsia et le peuple sont les gages du succès. Tchernychevski est déporté en 1862, d’autres maîtres à penser inspirent les plus radicaux : terrorisme, anarchisme. Lavrov, un ancien officier exilé, tire les leçons de l’échec de la Commune de Paris et insiste sur la nécessité de la « propagande » dans les masses pour préparer la révolution. Celle-ci suppose trois conditions : la création d’un parti révolutionnaire strictement clandestin formé de militants dévoués corps et âme ; ce parti doit viser la prise du pouvoir par la force s’il veut briser l’autocratie ; pour garder le pouvoir, il ne faut pas mettre à l’ordre du jour la révolution bourgeoise car elle porte en elle le capitalisme ; l’objectif doit être la révolution socialiste dans les campagnes comme dans les villes. La Russie ne doit pas suivre la voie capitaliste de l’Europe occidentale mais sa propre voie au socialisme.

b-L’échec de la croissance populiste : Le populisme s’affirme comme le premier mouvement révolutionnaire spécifiquement russe. C’est d’abord une doctrine du socialisme agraire voyant dans la commune rurale, la base du futur socialisme rural, la cellule politique et économique de la société socialiste, tout comme l’atelier, dans le monde artisanal et industriel. Le populisme est ensuite une stratégie du passage direct du féodalisme au socialisme, car ces vestiges du passé peuvent être les creusets de la future société. Le retard de la Russie peut devenir un atout en lui faisant sauter l’étape du capitalisme. C’est enfin une mission éthique que d’ »aller au peuple », non seulement pour lui apporter le savoir, mais aussi pour apprendre de lui. Les membres de l’’intelligentsia doivent devenir des « populistes », car c’est à l’école du peuple seulement qu’ils se départiront de leurs préjugés sociaux ou intellectuels. En 1873 et 1874, des milliers de jeunes étudiants partent vers les campagnes pour aider le peuple à se libérer. L’apathie paysanne et la cruauté policière conduisent les plus impatients à renouer avec l’action directe et le terrorisme.

c-L’impasse du terrorisme : Jusqu’en 1877, le populisme a été pacifique ; dès lors , il vire au terrorisme. Alexandre 2 est assassiné en 1881. Mais le régime en sort renforcé tant le tsar demeure aux yeux du peuple un personnage vénéré. Nombre de petits groupes populistes subsistent, isolés, dispersés, mais actifs dans les cercles pédagogiques ou mutuellistes, les coopératives et les administrations locales. Tous voient encore dans la paysannerie la force principale pour transformer la Russie. Mais créer une société civile et une démocratie locale est un travail de longue haleine. Le populisme acquiert à postériori un statut de doctrine politique révolutionnaire. Le mouvement se politise en se fixant comme tâche immédiate la démocratie politique afin de transformer ultérieurement le régime  social. Ce populisme rejette le marxisme car il ne croit pas au rôle historique de la bourgeoisie et du prolétariat.

4-la pénétration paradoxale du marxisme en Russie

a-Marx, Plekhanov et la Russie : Dès les années 1880-1900, l’éclipse du populisme et la première grande vague d’industrialisation facilitent la pénétration du marxisme en Russie. En 1881, Plekhanov diffuse le Manifeste du parti communiste. Il prend le contre-pied des populistes en affirmant : que la Russie ne peut pas passer au socialisme en faisant l’économie d’un développement industriel à l’occidentale et de la formation d’une classe ouvrière ; que la révolution suppose l’action industrielle d’une puissante classe ouvrière devenue consciente d’elle-même par la lutte économique contre le capitalisme et dans la lutte politique contre l’Etat autocratique ; que la révolution socialiste en Russie n’est pas pour tout de suite puisqu’elle ne sera que « le dernier acte d’une longue lutte des classes ». Le prolétariat sera la seule force capable de renverser le tsarisme lors de la révolution bourgeoise démocratique, étape nécessaire avant la révolution socialiste. Le marxisme apporte donc comme une nouvelle version de l’occidentalisme dans une Russie devenue capitaliste. La lutte idéologique exige l’organisation du nouvel ouvrier. Le marxisme théorique a le vent en poupe dans les milieux universitaires car il apparaît porteur de solutions nouvelles face aux impasses du populisme. La manifestation du 1e mai 1891 à St Petersbourg  porte en germe cette rencontre du monde ouvrier et de l’intelligentsia socialiste.

b-La conception léniniste du parti social-démocrate : Pour que le marxisme révolutionnaire s’impose, il faut que s’opère la tripe critique du « marxisme légal », de « l’économisme » et de « l’activisme ». Lénine entreprend de démontrer que  lutte revendicative et lutte politique doivent être liées et qu’il ne faut pas compter sur la bourgeoisie libérale pour améliorer le sort du prolétariat. La classe ouvrière doit assurer la direction politique de la révolution. Mais l’étude de l’intelligentsia russe révèle trois paradoxes : l’élite cultivée est à la fois ouverte à l’étranger, capable d’assimiler tout la culture mondiale tout en s’interrogeant sans cesse sur l’identité de la Russie et sur sa place dans la civilisation universelle ; l’intelligentsia reste marginale au sein même de l’élite socio-culturelle et ne peut créer une véritable opinion publique ; elle est de plus en plus révolutionnaire et joue un très grand rôle politique, mais elle reste trop coupée du peuple pour transformer le pouvoir et la société. Les valeurs de liberté et de démocratie ont bien du mal à pénétrer en Russie.

Chapitre six : L’impossible réforme : une « crise sans alternative »

Vers 1900, la Russie s’enfonce dans une crise durable qui contraste avec la brillante reprise des pays occidentaux à la Belle Epoque. L’autocratie est-elle réformable ? Existe-t-il des forces politiques et sociales capables de réformer ou de renverser le régime de l’autocratie ?

(cf. Annexe 5 : Réformes et contre-réformes en Russie)

1-Réformes et contre-réformes : la réaction autocratique

a-L’autocratie est-elle réformable ? Certains l’ont cru quand, après l’émancipation des serfs, Alexandre 2, entouré de ses ministres libéraux, lance un programme de réformes administratives, militaire , judiciaires, universitaires. Mais il a pour but de régénérer l’alliance entre le souverain et son peuple pour renforcer  l’autocratie, dénonçant de 1880 à 1907 tous les « rêves insensés » de liberté, égalité civile, souveraineté nationale, régime représentatif et laïcité.

b-La réforme des zemstvos : « Un compromis voué à l’échec » : Pour encadrer l’immense peuple paysan libéré de la tutelle des seigneurs, sont instituées, à partir de 1867 des assemblées de gouvernement et de districts, les zemstvos, chargées de gérer certains services publiques. Elles n’ont aucun pouvoir administratif, policier ou judiciaire et sont sous contrôle des gouverneurs et du gouvernement. Les assemblées municipales, les doumas, sont réorganisées en 1870 selon les mêmes principes censitaires excluant les ouvriers et avec des pouvoirs aussi limités.

c-Les avatars de la réforme judiciaire : En 1864, la réforme, très libérale, semble proclamer les principes de l’indépendance de la justice, de l’insolvabilité des juges etc…Mais l’Etat utilise tous les progrès du mouvement révolutionnaire pour tourner la réforme et la vider de son contenu. Les mesures administratives sont plus expéditives et plus efficaces que les poursuites judiciaires. Dès 1873, le ministère de l’Intérieur s’octroie le droit de censurer ou d’interdire toute publication, accordant ensuite ce pouvoir arbitraire aux gouverneurs. Toute légalité est désormais sacrifiée à la défense de l’ordre public. Les exils administratifs se multiplient à partir de 1890. L’autocratie est incompatible avec l’émergence d’une société civile.

 

2-Les blocages de la société russe

a-La réaction nobiliaire : Le tsarisme s’appuie toujours sur sa « fidèle » noblesse qui contrôle la plupart des hautes fonctions administratives et militaires. Mais nombre de nobles s’inquiètent de la formation d’une bureaucratie nouvelle formée d’intellectuels roturiers ainsi que de la dépendance croissante de l’Etat russe à l’égard du capital financier européen. Une réaction nobiliaire se dessine, flirtant parfois avec les ultra-nationalistes. De plus, la part de la propriété noble décline au profit de la propriété bourgeoise.

b-Une société agraire bloquée : La majorité de la paysannerie reste antiféodale dans ses mentalités. Les paysans sont nombreux à penser que la solution de leurs maux est dans l’expropriation et le partage des terres des propriétaires fonciers. La société rurale est bloquée dans ses contradictions. On meurt de faim en Russie à cause de la noblesse et de l’autocratie. L’abolition du servage a plus contribué à conserver les structures traditionnelles d’exploitation et d’organisation sociale qu’à développer une agriculture capitaliste.

c-L’affirmation d’un prolétariat minoritaire : Un prolétariat se constitue sous l’effet de la modernisation en 1895. Ce prolétariat industriel, à l’école des prolétariats européens, se forge vite une conscience de classe. De multiples sources de mécontentement alimentent les grèves du début du siècle face à un patronat plus soucieux de gagner la confiance des actionnaires étrangers que du sort des travailleurs russes. Syndicats et grèves sont interdits. Mais le régime paternaliste tente de neutraliser le mouvement ouvrier clandestin en instituant des syndicats officiels.

d-Les villes modernes, « forces motrices de la révolution » : LA ville est l’expression la plus achevée de la modernité en Russie ; pourtant, ce sont des villes encore rurales. Un monde nouveau y naît. Un nouveau groupe urbain est apparu : composé de professions libérales, enseignants, employés des zemstvos et qui peut incarner les aspirations démocratiques d’une  intelligentsia déçue dans ses aspirations sociales et politiques. Une nouvelle classe sociale est apparue dans les grandes villes, la bourgeoisie d’affaires. La grande banque constitue l’aristocratie nouvelle de ce capitalisme financier. St Petersbourg apparaît dès 1900 comme la capitale administrative et militaire, première ville industrielle et bancaire, porte maritime sur l’Occident, haut lieu de l’avant-garde artistique et de l’intelligentsia, bastion prolétarien. Elle concentre en elle toutes les contradictions de la nouvelle société russe.

3-Diversité et faiblesse des oppositions  politiques

On peut affirmer que vers  1900, en dépit des traditions d’attachement quasi filial à la personne du tsar et d’obéissance bureaucratique et militaire, la majorité des Russes cultivés souhaitaient des changements politiques, soit par adaptation du régime à la modernité de la société, soit par bouleversement des rapports politiques et sociaux. S’étaient développés un courant libéral relativement important oscillant entre deux ailes, modérée et radicale, ainsi qu’un courant révolutionnaire très divisé.

a-Libéraux et démocrates : les libéraux modérés se recrutent parmi les élus des zemstvos, les nobles et les fonctionnaires. Le libéralisme slavophile souhaite une régénération de la tradition autocratique par la liquidation des « déformations bureaucratiques » et la résurrection des « Etats généraux ancestraux » afin de faire entendre la « voix du pays ».

Ce courant apparaît trop timide à nombre d’intellectuels, juristes, professeurs. Un véritable réseau démocrate se constitue grâce à des associations culturelles, de juristes, d’économistes, qui commencent à élargir une société civile parallèlement aux zemstvos. Ce courant démocrate radical doit beaucoup à ceux que l’on a appelés les « marxistes légaux ». Occidentalistes d’inspiration, ils aspirent à la modernité par la destruction des pratiques communautaires de la paysannerie, le développement de la propriété privée et des rapports marchands. Ils fondent le premier parti libéral russe en Suisse, puis à St Pétersbourg en 1904, l’  « Union de Libération ». Le courant libéral s’est donc renforcé et radicalisé dans les villes à la veille de la révolution de 1905.

b-« Populistes légaux » et « Socialistes-Révolutionnaires » : Dans les campagnes, les héritiers spirituels des populistes forment de petits groupes dispersés. Le parti SR nait en 1902, mais il n’aura jamais des structures capables d’encadrer et de diriger vraiment la paysannerie. Les « populistes légaux » croient encore à l’originalité d’un socialisme russe fondé sur le mir* et l’artel*. Ils ne conçoivent le socialisme que comme un groupement de petits producteurs industriels dans une économie marchande. Les révolutionnaires sont devenus réformistes. C’est pour se démarquer du « populisme légal » que certains militants adoptent en 1897 l’appellation de « socialistes-révolutionnaires » : la Russie doit réaliser le socialisme par la réforme agraire : le « Partage Noir ».

c-« Mencheviks » et « Bolcheviks » : Lénine propose une formule faisant de l’adhérent, non seulement un partisan du programme du parti, mais un militant s’engageant personnellement à le mettre en œuvre, sous l’impulsion et le contrôle des organes dirigeants. Trotski cire au jacobinisme, au despotisme, à la dictature du parti sur le prolétariat. Deux conceptions du parti s’affrontent. Bolcheviks (majoritaires) et Mencheviks s trouvent profondément divisés et faibles face à l’épreuve imprévue de la révolution de 1905.

 

 

 

 

 

 

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