l'an mil

Publié le par marie m

L’an 1000, la première crise de l’Occident ?

 

Introduction : naissance d’un monde interconnecté

Autour de l’an 1000, la circulation des hommes et des idées s’intensifie, les échanges de marchandises s’accélèrent entre l’Europe, l’Afrique, l’Asie et l’Amérique, la mondialisation est en ordre de marche. Le monde compte près de 250 millions d’habitants, qui se divisent en deux moitiés : la première maîtrise l’écriture, critère traditionnel marquant la fin de la Préhistoire. Elle vit sur l’immense continent eurasiatique, en particulier dans les trois centres peuplés que sont l’Inde, la Chine, le Bassin méditerranéen. Hors de l’Eurasie, l’écriture n’est attestée que dans l’Amérique centrale des Mayas et en Ethiopie. La seconde moitié ne maîtrise pas l’écriture.

Comment expliquer ce tournant dans l’histoire de l’humanité ?

 D’abord par une évolution du climat : le réchauffement de l’Atlantique Nord a eu une conséquence historique décisive, celle de permettre les premiers échanges entre l’Europe et le continent américain.

 Le Moyen-Orient est le théâtre d’un bouleversement qui prend sa source avec, à partir du 7e siècle, l’essor de l’Islam. Parti de la péninsule arabique, il s’implante sur toute la rive sud de la Méditerranée, au Moyen-Orient, en Asie centrale et jusqu’au nord de l’Inde. Cette vaste région est morcelée en plusieurs empires rivaux, mais possède une indéniable unité culturelle. Grâce à l’Islam, on peut parler ou écrire l’arabe de l’Espagne à l’Inde. Et on peut trancher les différends en recourant à un même droit, celui de la religion musulmane. Soit deux atouts précieux pour y développer le commerce le long de l’antique route de la soie qui relie l’extrême Orient à l’extrême Occident.

La Chine, que vient de réunifier la dynastie des Song est alors de très loin, la région du monde la plus avancée techniquement. Elle seule connaît la poudre explosive, elle seule connaît le papier et les caractères mobiles d’imprimerie. Les capitaines des jonques chinoises naviguent en s’aidant de boussoles. C’est enfin la région la plus urbanisée. Le monde musulman était déjà le pivot des échanges entre l’Afrique et l’Europe. Il devient aussi celui des échanges entre l’Europe et la Chine et le vecteur de l’introduction en Europe des inventions venues d’Orient.

 Outre les marchandises, les idées circulent aussi par l’intermédiaire du monde musulman. C’est le cas des innovations mathématiques indiennes, en particulier le système de numérotation décimal faisant appel au zéro.

Les grandes invasions, après avoir provoqué la chute de l’Empire romain d’Occident, viennent de prendre fin du côté européen du continent eurasiatique. Le réchauffement climatique favorise l’agriculture. Le système féodal est en place et les nations que nous connaissons aujourd’hui commencent à se dessiner. Le monde autour de l’an 1000 est ainsi interconnecté, du moins potentiellement. Le tour du monde d’un objet, d’une innovation, devient, pour la première fois de l’histoire de l’humanité théoriquement possible.

La notion du Moyen-Age dont l’an 1000 serait la césure n’a pas de sens dans une perspective globale , elle relève d’une périodisation qui n’a de sens que pour l’Europe. Aux 10e et 11e siècles , l’Europe occidentale n’est rien, à l’extrémité de la masse russo-asiatique, sans aucun poids particulier. L’an mil, dans l’histoire globale est d’une importance décisive. C’est le moment où l’Europe occidentale commence à inverser la tendance. Elle était jusque- là placée sous la prééminence de l’Empire byzantin et subissait les assauts  de l’expansionnisme de l’Islam.

1-En Occident

1-Le fantôme des peurs de l’an mil : à l’approche de l’an mil, l’imagination semble prendre le mors aux dents. Les chroniques abondent en évènements dramatiques et phénomènes extraordinaires, autant de prodiges humains qui laissent augurer d’une fin du monde imminente, conforme à la fameuse prédiction de l’Apocalypse. Dans les cloîtres, les moines érudits de l’époque s’activent à dresser dans leurs épais manuscrits un inventaire des catastrophes et des évènements surnaturels qui viennent pimenter cette période apparemment bien  tourmentée. Mais la présence dans les sources de passages épars ayant trait à la fin du monde est une réalité, certes, mais elle tient au fait que le christianisme est une religion tendue vers la fin du monde. D’autres auteurs parsèment leurs écrits d’allusions plus ou moins millénaristes, du nom de cette doctrine du millénarisme basée sur l’angoisse générée par la fin du monde annoncée. Les philosophes des Lumières et les Révolutionnaires de 1789, toujours désireux de présenter le christianisme sous son aspect le plus ridicule, reprennent comme une évidence un 10e siècle abruti de superstitions. La mystification atteint son apothéose sous la plume des auteurs de la période romantique pour qui la vérité historique importe bien moins que le style.

 Il faut attendre la fin du 19e siècle pour que les historiens se rapprochent enfin des textes originaux et constatent l’absence de peurs de l’an mil. Le débat historiographique est pourtant relancé vers la fin des années 1960. Si l’on reconnaît l’absence de peurs collectives et de frayeurs millénaristes, on décèle dans les sources suffisamment d’indices pour affirmer l’existence d’un état de tension et d’anxiété permanente aussi bien chez l’élite que dans l’ensemble de la société. Il n’y aurait donc pas eu de terreur mais une sourde attente de la fin des temps, comme tendrait à le prouver la recrudescence de ces « précautions d’avant Jugement dernier ». Le fait de se préoccuper de son sort ultime ne serait finalement que le reflet d’une conscience chrétienne en éveil.

2-La naissance de la France : l’an mil marque rétrospectivement un tournant dans l’histoire de France. Pourtant, dans les faits, aucune trace de transformations brutales, juste un changement dans la continuité. A l’origine de celui-ci, Hugues Capet. Le nouveau roi gouverne directement un domaine dont les frontières ne dépassent guère Paris au Nord et Orléans au Sud, mais il règne idéologiquement sur un pays composé d’une mosaïque de puissances aux mains de contes, de ducs et d’évêques. C’est un royaume sans capitale : le pouvoir se concentre en effet à un niveau inférieur et va, à terme, favoriser l’émergence d’une société féodale. Pour le premier des Capétiens, il n’est pas aisé de gouverner des populations très dispersées en-dehors de son domaine royal.

En 989, un Concile auquel participe le roi se réunit pour limiter la violence des princes. Les présents s’engagent par serment à protéger les églises, le bétail des paysans, leurs biens et les clercs contre ceux qui portent des armes, les futurs chevaliers. Malgré sa faiblesse, le souverain maintient son pouvoir grâce à sa fonction spirituelle. Son prestige royal le place d’office comme le médiateur entre le ciel, à savoir Dieu, dont il est le serviteur, et les hommes. Les Capétiens s’installent sur le trône et le conservent jusqu’en 1328 en héritage direct, puis par des branches collatérales jusqu’en 1792. Tous, jusqu’à Philippe Auguste furent sacrés par anticipation. Des royaumes comme l’Italie et l’Espagne sont encore sous la coupe des envahisseurs byzantins et musulmans. Seules la Francie et la Germanie se réclament de l’héritage carolingien. Une pré-France commence à apparaître et avec elle la notion de nation. Avec le traité de Verdun en 843, qui donne lieu à un tripartisme de l’Empire, l’Europe se structure entre le 9e et le 14e siècle autour de deux pôles : la Francie et la Germanie.

3-La féodalité, une invention de l’an 1000 ? Longtemps, l’an 1000 a été considéré comme une date charnière marquant l’entrée de l’Occident dans le monde féodal. Dans la France des années 1960-1990, des spécialistes du Moyen-Age voyaient dans la multiplication des châteaux en Occident au 11e siècle le signe d’une mutation brutale, une révolution féodale opérée par des seigneurs prédateurs et guerriers, préoccupés de leurs intérêts privés. Les autres envisageaient le système féodal comme l’amplification d’un phénomène amorcé à l’époque carolingienne marquée par la puissance publique.

Il existait déjà avant l’an mil des sites présentant tous les attributs de la féodalité : résidence d’un personnage éminent, éléments défensifs et traces d’un dominium, un droit de commandement sur les gens qui vivaient autour… Pourquoi et comment le pouvoir seigneurial s’affirme-t-il dès le 10e siècle ? Dans l’empire carolingien déjà, l’Etat s’appuyait sur des élites respectées, aristocrates locaux ou proches de la cour, qui exerçaient le pouvoir et la justice en son nom sur les territoires. Au 9e siècle, l’Empire compte environ  300 comtés. Peu à peu se crée un réseau de dépendances hiérarchiques. On est désormais duc ou conte de père en fils. Peu à peu, les puissants perpétuent à leur profit le système hiérarchique déjà en place. Les liens entre suzerains et vassaux ne sont pas encore codifiés en l’an 1000, mais au gré des alliances, des mariages, des transmissions, des conflits territoriaux, les fiefs se multiplient.

 Les châteaux y assurent une fonction autant défensive que symbolique. Laïcs ou ecclésiastiques, les seigneurs du 11e siècle s’enrichissent grâce à leur domaine cultivé par des serfs et des paysans libres soumis à des impôts divers. Sur le ban, le territoire sur lequel s’exerce son commandement, le châtelain cumule les pouvoirs. Il perçoit des droits de péage sur les routes ou les rivières, taxe l’utilisation du four ou du moulin, profite du travail des artisans, crée des places de marchés. Il exerce le droit de justice. Comment les monarques, et en particulier les rois de France vont-ils réussir à imposer leur autorité sur l’ancien empire de Charlemagne ? En Francie occidentale, l’une des priorités est d’unifier le royaume. Pour assurer  sa légitimité, le roi doit s’imposer comme le seigneur des seigneurs.

4-Le paysage médiéval se dessine : nos villages ne sont pas nés en l’an mil, mais bien avant. L’habitat groupé et organisé existe déjà au haut Moyen-Age, ainsi que des éléments polarisateurs comme l’église. Cependant, cet habitat n’est pas stable : les hommes se déplacent à l’intérieur d’un même territoire, une mobilité facilitée par l’usage de matériaux périssables pour les constructions. L’an mil n’aurait donc pas vu la naissance du village, mais la stabilisation de la carte des villages. La fiscalité serait à l’origine de cette stabilisation. Les hommes se regroupent autour de l’église et du cimetière, gages de paix et de sécurité. Le développement d’un réseau de paroisses débute ainsi aux 7e et 8e siècles pour se stabiliser aux 10e et 12e siècles.

 Autour de l’an mil, naît le régime agraire de l’open-field dans le nord- ouest de l’Europe, caractérisé par une ouverture totale et une utilisation intensive de l’espace. Le système a une influence considérable sur l’organisation du paysage car les terres sont alors découpées en lanières, les champs sont très allongés pour faciliter le passage de la charrue. Quant à l’idée que l’an mil serait une période de grands défrichements, visant à détruire des espaces boisés pour gagner de l’espace agraire ou des terres à urbaniser, elle est relativisée aujourd’hui. Ce qui est sûr, c’est que vers l’an mil, on ne défrichait pas une forêt primaire, mais une forêt secondaire, laquelle avait poussé sur des espaces jadis cultivés, puis abandonnés à la fin de l’Antiquité. Entre les 11e et 12e siècles, certains seigneurs défrichent afin de dégager de nouvelles terres où installer des colons. On défriche enfin pour gagner de vastes étendues sur les marécages, les zones humides, la mer. Entre la fin du 9e siècle et le milieu du 10e, on assiste aux prémices de l’essor urbain. Le mouvement gagne le Nord, l’Est, le Midi. Ces bourgs constituent des lieux d’échange de produits locaux issus de l’agriculture et de l’artisanat rural. A la fin du 11e, les villes connaissent un essor sans précédent depuis l’époque gallo-romaine , lié au dynamisme économique et démographique des campagnes qui en assurent l’approvisionnement.

Les lieux de culte : églises, chapelles, se multiplient, le réseau paroissial se densifie. Des villes neuves témoignent d’opérations programmées de fondation urbaine par les princes. Toutes les villes, anciennes et nouvelles sont de petites agglomérations peu étendues et peu peuplées. Elles sont polynucléaires, fragmentées, tant sur le plan toponymique : elles sont composées de plusieurs bourgs, que politique : elles sont le siège de rivalités entre seigneurs urbains.

5-Les instruments de la modernité : le 11e siècle n’a pas tout inventé, au sens où il a donné à des outils connus depuis l’Antiquité une autre vie. Développés simultanément, le fer, le moulin, la charrue convergent vers une amélioration considérable de la productivité agricole. L’assolement triennal est peut-être la seule véritable invention de l’époque qui a rendu possible la culture simultanée de deux céréales, le dernier tiers de la terre restant en jachère pour ne pas épuiser le sol. En se généralisant, le système charrue-cheval force la généralisation des forges, lesquelles signent à leur tour la diffusion de la métallurgie, qui concurrence le bois et la pierre, matériaux rois de l’époque.

La transformation est lente, sans révolution, mais elle signe le véritable fait d’armes du Haut Moyen Age : l’amélioration de la productivité agricole. Production agricole et croissance démographique vont de pair. Il n’y eut pas d’explosion du nombre de moulins autour de l’an mil mais des seigneurs instituent à leur profit certains monopoles, dont le moulin. Ainsi, les moulins comme le fer, et par conséquent tous les outils de la mutation agricole entrent dans le nouveau système seigneurial, qui « endigue » leur croissance avec des règles de construction et d’exploitation strictes. Cette optimisation de l’énergie hydraulique pousse, autant qu’elle est poussée par elle, la production agricole et métallurgique. L’idée émerge d’une protection du paysan dans son champ, pour qu’aucune violence ne puisse être exercée sur lui, mais cela n’entrera dans les mentalités qu’au milieu du 12e siècle. Avec leur conception particulière du monde, les hommes de la fin du premier millénaire commencent à voir la nature, création de Dieu, en continuité avec l’homme, comme une chose que l’on peut connaître et s’approprier par la technique.

6-Le temps des moines : grâce à leur prière continue qui célèbre Dieu nuit et jour et à leur culture supérieure à celle des autres clercs, les moines de l’an 1000 acquièrent un prestige immense. Ils sont au cœur de la société et de l’économie de l’époque. Ils sont un îlot de sainteté au milieu d’un océan de violence. Ils définissent la spiritualité des hommes de leur temps. La réussite des moines se lit d’abord dans la multiplication des fondations de monastères . La plupart sont liées à l’idée de réforme. Au Moyen-Age, cette notion désigne toujours un retour à la tradition. Il s’agit de revenir à la règle écrite au 6e siècle par Benoît, qui définit les principes essentiels de la vie monastique : le retrait du monde, une prière la plus continuelle possible, la chasteté, l’absence de possession personnelle, l’ascèse. Pour revenir à l’essence de la règle bénédictine, certains monastères veulent se soustraire à la tutelle des seigneurs et des évêques. Cluny témoigne de cette volonté d’indépendance. La réforme des monastères augmente leur réputation de sainteté, donc leur prestige. C’est pourquoi les seigneurs veulent s’associer à leur expansion. Installer un monastère sur ses terres est une spectaculaire manifestation de grandeur. Cela souligne la puissance matérielle et le rayonnement social d’un seigneur.

Pourquoi les seigneurs de l’an mil consacrent-ils autant de ressources à financer les monastères comme s’il s’agissait du meilleur investissement spirituel possible ? Une des raisons principales relève de la vocation essentielle des moines : prier Dieu jour et nuit. L’office divin consiste essentiellement à chanter des psaumes pour la gloire de Dieu. La règle de St Benoît stipule que le psautier de 150 psaumes doit être récité intégralement chaque semaine. Les abbayes sont des centres de prières, mais aussi des foyers de culture. L’activité intellectuelle des moines leur vaut un surcroît de prestige. Pour autant, tous les moines ne savent pas lire, on s’en rend compte en examinant la copie des manuscrits, activité que l’on retrouve dans de nombreux monastères. Dans le domaine économique, les monastères se trouvent à la tête de domaines de plus en plus vastes. Dans le domaine social, les moines ont su tisser des relations sociales avec l’aristocratie. En échange de terres, ils accueillent des enfants âgés de 6 ou 7 ans que leurs familles destinent à la vie monastique. Certains fils de grands seigneurs profitent aussi du savoir dispensé dans les monastères.  Les moines inspirent aussi de manière décisive les pratiques religieuses des fidèles : le culte des reliques se développe, la plupart des pélerinages s’organise à leur initiative. Dans la période 950-1050, les moines sont au sommet de leur prestige et de leur réputation. Ensuite, leur éclat va se ternir en raison de la contradiction entre leur réussite matérielle et sociale et leur vocation à l’humilité.

7-Le roman, un art tourné vers le divin : témoignant de temps que l’on dit obscurs mais que les spécialistes considèrent désormais comme une période de grande effervescence, l’art roman, essentiellement religieux, émerge dans un contexte de profondes mutations culturelles, sociales et politiques. Au sortir d’une période de crise, la redéfinition des rapports de l’Eglise et de la société s’inscrit dans des enjeux complexes de pouvoir et de moralisation des mœurs. Sur le plan institutionnel, elle se traduit par la réforme du monachisme, puis par celle dite grégorienne, qui affirme le rôle de la papauté. L’essor sans précédent du bâti religieux en est l’expression concrète. Portées par la vision spirituelle d’abbés éclairés, les règles du renouveau de l’architecture s’élaborent dans les monastères et les abbayes.

 Fer de lance de ce mouvement, l’abbaye de Cluny joue un rôle clé dans la naissance de l’art roman. La modeste église abbatiale initiale, Cluny 1, n’est pas adaptée au développement de la liturgie et à l’afflux croissant de fidèles. D’où la construction de Cluny 2, entamée en 948 qui se dote d’un vaste chœur adapté aux besoins liturgiques de la communauté monastique. Pendant près de deux siècles, Cluny n’aura de cesse de l’agrandir et deviendra un centre majeur d’expérimentation architecturale. Dès ses origines, Cluny se voit confier la fondation ou la réforme de plusieurs abbayes, auxquelles elle sert de modèle. A son apogée, l’abbaye est à la tête de plus de 1000 monastères et prieurés en Europe et joue un rôle d’opérateur et de constructeur. Les édifices religieux deviennent le fondement de l’organisation de communautés paroissiales et civiles.

 Parallèlement, les bases de la féodalité se mettent en place. Cette architecture met alors en scène une nouvelle relation au divin. Le plan des églises se transforme en fonction de nouveaux rites liés à l’eucharistie ou au culte des saints et des reliques, volontiers théâtralisé. Ce mouvement, d’une ampleur inégalée s’affirme comme la première manifestation artistique commune à l’Occident chrétien. Tandis que des styles régionaux s'affirment progressivement, les maçons lombards et les moines clunisiens propagent leurs modèles dans toute l’Europe. Lorsque l’on traite de l’art roman, il faut prendre en considération qu’il s’agit d’une période assez brève (deux siècles) et que l’évolution des formes y est permanente et rapide. C’est dans le domaine de la sculpture que les innovations sont les plus marquantes. Il existe également une fascination de l’époque pour l’orfèvrerie, qui perpétue un savoir-faire hérité des siècles précédents. Riche et expressive, l’iconographie romaine frappe les esprits, mais reste mystérieuse. Parallèlement se développera un art profane témoin de l’époque féodale, qui s’épanouira dans les logis seigneuriaux ou les châteaux romans, mettant à l’honneur la chevalerie ou des loisirs comme la chasse.

2-Dans le monde

1-Constantinople entre Orient et Occident : au tournant de l’an mil, l’Empire byzantin est sans conteste la première puissance de l’est de la Méditerranée. Il est le double héritier de la civilisation grecque et de l’Empire romain. Sa capitale, Constantinople est le siège d’une Eglise qui se pose en rivale de celle de Rome. L’Empire est situé aux confins de l’Orient et de l’Occident et suscite de nombreuses convoitises des deux côtés. Dans les décennies qui suivent l’an 1000, l’Empire byzantin connaît une période de paix exceptionnelle après une succession de guerres et d’invasions. Sa supériorité militaire est incontestable. Le contrôle du trafic maritime est impératif pour un Empire qui s’étend sur quatre mers (Adriatique, mer Egée, Méditerranée orientale, mer Noire) et tire l’essentiel de sa richesse de son commerce. L’Empire est la double porte d’entrée du Grand Nord et de l’Orient. Le prestige religieux de Constantinople, rivale de Rome au sein de la Chrétienté, tient aussi au fait que ses églises conservent nombre de reliques évacuées des lieux saints de Palestine au moment de la conquête musulmane.

Nouvelle Rome, nouvelle Jérusalem, Constantinople est aussi une nouvelle Athènes. Le grec est la langue officielle de l’Empire. La science et la philosophie hellénistique y restent vivantes, même s’il semble y avoir une éclipse dans la transmission des savoirs antiques autour du 6e siècle. Les écoles sont fréquentées par les futurs fonctionnaires de l’Empire. Ils y sont formés à la philosophie d’Aristote et de Platon, aux mathématiques d’Euclide, à la géographie d’Aristote ou à l’astronomie de Ptolémée. Nombre de textes de l’Antiquité grecque ne nous sont parvenus que par les copies byzantines, soit directement, soit, le plus souvent, après avoir été recopiées par les érudits musulmans qui les ont conservés dans les bibliothèques de Bagdad et de Cordoue.

 A partir de 1050 et jusqu’au milieu du 12e siècle, Constantinople cesse de jouer un rôle actif dans les échanges internationaux. Cette perte sèche pour l’Empire est concomitante de la terrible crise financière qui s’installe dans les décennies 1068-1080. L’Empire byzantin vit dans un état de guerre perpétuelle. Une dernière menace vient s’ajouter  quand l’Eglise byzantine rompt avec celle de Rome. La date du schisme de 1054, marqué par l’excommunication réciproque du patriarche de Constantinople et du pape, est souvent associée à cette rupture. En 1453, la prise de l’Empire romain d’Orient qui par les troupes de Mehmed 2 marque la fin de l’Empire romain d’Orient qui aura duré un millénaire, soit l’équivalent du Moyen-Age occidental.

2-Islam : les capitales de la connaissance : Bagdad, Cordoue, Le Caire sont les trois grands foyers d’un monde arabo-musulman divisé mais uni par la culture et la soif de savoir. Leurs savants ont exploré le patrimoine antique et poursuivi l’œuvre de leurs prédécesseurs. La science arabe s’apprête à gagner l’Europe. La civilisation arabo-musulmane connaît à l’orée de l’an mil une véritable révolution économique, culturelle et intellectuelle. Les trois capitales figurent parmi les plus grosses villes du monde. Les califes y ont développé une civilisation raffinée qui rayonne sur tout le territoire musulman. Malgré les divisions politiques, le monde arabo-musulman conserve une unité culturelle, économique et dans une certaine mesure religieuse, qui favorise la circulation des biens et des idées. La langue arabe s’est diffusée partout. Les échanges commerciaux sont facilités par une langue et des valeurs communes. Les échanges ne sont pas seulement commerciaux mais aussi culturels. Ainsi, l’architecture de la mosquée de Cordoue évoque à la fois la Syrie, Byzance et Rome.

 Les domaines dans lesquels les échanges s’avèreront les plus féconds cependant celui de la connaissance. Les califes, qu’ils soient omeyyades, abbassides ou fatimides font preuve d’une grande autorité intellectuelle. Leur soif de savoir est arrivée par la conscience d’avoir pris possession d’un territoire sur lequel les civilisations antiques grecque, perse et indienne ont produit un patrimoine exceptionnel. Une intense période de copie et de traduction d’ouvrages antiques début à Bagdad. Les savant arabes ne se limitent pas à la transmission du savoir antique. Ils poursuivent également le travail de leurs prédécesseurs. Des foyers intellectuels essaiment dans tout le califat, avec leurs universités, leurs bibliothèques et leurs hôpitaux. Les savants, les livres, les idées voyagent. Dès le 11e, la soif de connaissances gagne l’Occident chrétien. Les centres intellectuels musulmans fascinent les esprits éclairés, qui se lancent dans la traduction des textes en latin.

3-Inde : l’éclat des Cholas : dans leur appétit de conquête, les rois d’une ancienne dynastie imposent leur suprématie en pays tamoul, puis étendant leur emprise au-delà des frontières de l’Inde. D’un petit état, ils font naître un vaste empire. L’expansionnisme chola relève d’un colonialisme agressif. Leurs actions militaires, diplomatiques et commerciales s’inscrivent dans une tentative de contrôle des routes commerciales de l’Océan Indien et de ports qui y constituent les nœuds de réseaux d’échanges. Parallèlement à leurs actions militaires, les Cholas exercent une intense activité diplomatique renforcée par Rajaraja, qui en fait un culte royal, le shivaïsme devient la religion dominante. Le rapport à l’homme physique n’existe pratiquement pas sur un temple indien, dont l’architecture est plus significative qu’habitable.

4- Chine : le rayonnement de l’Empire Song : marquée par la réunification de la majeure partie de la Chine centrale, l’instauration d’un puissant système administratif, une forte expansion démographique et l’effervescence de cités immenses ; marquée par un accroissement des échanges intérieurs et extérieurs, un vif engagement pour les savoirs, une cascade d’inventions technologiques et une floraison d’œuvres d’art, la civilisation des Song (960-1279) est l’une  des plus riches, des plus fécondes de toute l’histoire chinoise. Si la nouvelle dynastie parvient à faire rayonner son nom à travers tout l’Extrême Orient, sa position n’en demeure pas moins fragile. Les Song doivent sans cesse composer avec de puissants voisins.

 Les Song stabilisent l’Empire en généralisant le système des examens. Cette méthode permet de sélectionner les meilleurs, de les intégrer dans la fonction publique et de disposer d’une bureaucratie sur laquelle la dynastie fonde son pouvoir. Autre indicateur éloquent : la démographie. Un essor démographique qui rejaillit sur l’agriculture chinoise, dont la supériorité sur celle de l’Europe est alors indéniable. Non seulement la Chine parvient à nourrir une population croissante, mais les progrès des rendements permettent de dégager des surplus dont la commercialisation stimule l’essor d’une économie marchande. Si un intense commerce caravanier relie la Chine à l’Asie centrale, l’activisme économique de l’Empire provient aussi de sa marine, sans doute la première de son temps. Pour faire face à l’expansion du commerce, la Chine des Song est également le premier état au monde à se doter d’une monnaie de papier, largement plus d’un millénaire avant l’Europe.

Documents politiques et administratifs, géographies locales, encyclopédies, traités spécialisés, notes personnelles, les lettrés fonctionnaires écrivent beaucoup et lisent de plus en plus. Le 11e siècle apparaît surtout comme une période d’innovation de l’imprimerie dans l’Empire puisqu’il suscite la naissance des premiers caractères mobiles.

Des réformes politiques et institutionnelles d’envergure, un important développement économique, un essor spectaculaire des sciences et des avoirs pratiques : la modernité des Song est éclatante et finira par attirer la convoitise des Mongols, qui réuniront l’empire à la fin du 13e.

5-Cambodge : le faste des Khmers : en l’an mil, Angkor est déjà la plus grande cité de l’Asie du Sud-Est, un cas unique de symbiose entre l’urbanité, le spirituel et le territoire agraire, et le lieu de résidence du roi. Le royaume englobe l’actuel Cambodge, le nord-est de la Thaïlande et une petite partie de Laos et du Vietnam. Le royaume est à une époque charnière de son histoire.

 L’excellence du système agraire permet de nourrir une population en expansion et d’accumuler les richesses. C’est aussi une période d’aventure, caractérisée par de nombreux échanges marchands et probablement culturels avec les pays voisins. La période faste qui marque la fin du 10e et le début du 11e est d’abord liée au contexte géopolitique régional et à l’absence de conflits majeurs entre le royaume khmer et ses voisins immédiats.

 A la tête d’une administration pléthorique et d’une puissante armée, le souverain est le grand organisateur d’un royaume centralisé et son protecteur. Il règle les litiges, attribue les titres et fonctions. C’est lui aussi qui décide de la construction de nouveaux temples d’Etat célébrant le culte royal et qui veille à ce qu’il soit correctement rendu. Lui encore qui organise l’aménagement du territoire, notamment par l’octroi de terres à ses courtisans ou par le lancement de grands travaux. Ainsi, le territoire est couvert de temples dédiés aux divinités protectrices du royaume, qu’elles soient hindouistes ou bouddhiques, les deux religions cohabitant de façon harmonieuse.

 Dès le 9e siècle, les Khmers ont entrepris de remodeler totalement leur environnement naturel, de l’artificialiser. Ils ont ainsi élaboré un réseau hydraulique d’une incroyable complexité qui va permettre un développement exceptionnel de la riziculture. Ce réseau garantit des récoltes régulières face à l’irrégularité des moissons. On ne sait pas très bien comment le royaume khmer percevait l’extérieur, ni comment lui-même était perçu. Son histoire reste lacunaire. Les inscriptions gravées sur les temples en sanskrit et en khmer ancien reflètent seulement la version du pouvoir central.

6-Afrique noire : un âge d’or oublié : si l’an mil, pour les populations africaines, alors bien peu christianisés, ne signifie rien de particulier, ce début de millénaire n’en est pas moins une période charnière qui voit le continent noir s’ouvrir au commerce international. En effet, à l’aube de l’an mil, au Sud du Sahara, plusieurs royaumes forment d’importantes unités politiques et économiques. Au contact de marchands arabes et avec l’islamisation de leurs élites noires, ces royaumes vont entrer de plain-pied dans l’espace des échanges entre continents. Le Ghana n’est ni le premier, ni le seul, ni même peut-être le plus important royaume de son époque. Tout le long des fleuves Sénégal et Niger, qui forment des axes commerciaux sur lesquels circulent les marchandises, se sont développés d’autres ensembles politiques plus ou moins influents.

 Après l’Hégire, datée de 622, et les conquêtes arabes des 7e et 8e siècles, le monde musulman forme, sur le pourtour méditerranéen, un ensemble d’Etats autonomes, parfois rivaux, mais qui partagent la même religion et surtout la même langue. L’arabe va devenir l’idiome véhiculaire d’un vaste monde commercial. Les musulmans constituent alors de petites communautés dispersées le long des routes commerciales du Sahara. Contrairement à ce qui a pu se passer ailleurs, comme au Maghreb, les royaumes de l’Afrique noire ne subissent pas de conquêtes guerrières. Seules les élites, parce qu’elles en ont bien compris l’intérêt économique, adoptent l’Islam. Même si elles n’abandonnent pas totalement leurs croyances ancestrales, les élites noires s’inscrivent dans un système de pensée et de valeurs communes avec les marchands arabes, qui leur permet de gagner leur confiance et de traiter d’égal à égal avec eux, sous le regard du même Dieu.

L’installation de marchands arabes et persans sur les côtes orientales de l’Afrique date des 10e et 11e siècles. Mogadiscio est le plus ancien de ces comptoirs. Dans ces cités-Etats, politiquement indépendantes et commercialement rivales, se mêlent marchands musulmans et population d’origine bantoue. Cette mixité va donner naissance à la culture swahilie, unifiée sur tout le littoral par la langue véhiculaire. Ces comptoirs agissent comme les plaques tournantes d’un commerce qui relie l’intérieur de l’Afrique au reste du monde, et vivent de plus-values réalisées sur de gros volumes de transactions et de productions à forte valeur ajoutée. Ces mêmes routes empruntées par l’or via le Sahara ou l’océan Indien étaient aussi celles suivies par les esclaves venant de contrées non islamisées. Une traite qui cependant ne devient véritablement florissante qu’à partir du 14e siècle. La marchandise la plus recherchée reste le sel. La Chine et l’Afrique entretenaient, par l’intermédiaire des commerçants musulmans, des relations commerciales à une époque où l’Europe ignorait tout du continent noir. A partir des 15e et 16e siècles, la maîtrise européenne des routes maritimes redessine la carte du commerce mondial.

7-Mésoamérique : la grandeur des Toltèques : autour de l’an mil, la brillante civilisation des Toltèques s’est épanouie au cœur du Mexique, tirant profit de la chute au 7e siècle de la cité-Etat de Teotihuacan qui avait développé une civilisation majeure. Leur capitale, Tula, fondée, ceux-ci se sont mis à prospérer, à partir du 9e siècle avant de disparaître au 12e.

Cette vision idyllique ne correspond pourtant pas toujours à la réalité car l’histoire des peuples de la Mésoamérique est facilement brouillée par les mythes et les légendes véhiculés par les civilisations postérieures. Les principales sources d’information sur les Toltèques proviennent en effet des missionnaires espagnols qui, après 1519, ont recueilli les témoignages directs des Aztèques sur leurs prédécesseurs.

 Pour les Aztèques, les Toltèques bénéficient de toutes les vertus. Ils parlent de « toltéquité » pour résumer tout ce qu’il y a de meilleur dans la vie civile. La confrontation entre les récits véhiculés et la réalité archéologique est pourtant surprenante : l’architecture est relativement modeste, l’artisanat assez frustre et l’iconographie essentiellement guerrière et sacrificielle.

En l’an mil, le Mexique actuel a déjà connu deux millénaires de civilisations qui partageaient de nombreuses caractéristiques communes : une agriculture fondée sur le maïs, des lieux de culte, des sacrifices humains, des jeux de balle rituels, une écriture idéographique et des calendriers complexes. Ainsi, de nombreuses caractéristiques attribuées aux Toltèques sont issues d’autres cultures du Mexique central.

 

 

 

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